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Mon Journal de Lisbonne

Mon Journal de Lisbonne
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24 mai 2014

adieu Lisbonne

Je n’ai pas pu résister, je suis retourné au « Leopold » et j’ai encore bien fait. Si ce restaurant ne ferme pas dans les six mois car il n’a aucune publicité, s’il réussit à tenir, je parie qu’il sera bientôt inabordable car la cuisine que prépare ce jeune chef est une merveille. Il m’a conseillé une morue à l’escabèche. Je lui ai fait confiance bien que je ne sois pas un fana de l’escabèche mais, là, pas grand chose à voir avec l’escabèche, c’était une merveille. La morue — nous aurions plutôt dit un dos de cabillaud — se délitait en feuilles parfaitement cuites, elle était servie avec encore quelques petites pousses parfumées, des feuilles d’oignon rouge confites dans le vinaigre légèrement sucré qui leur avait donné un inoubliable goût fruité, une véritable découverte, très légère acidité, très léger goût de sucre, croquant sous la dent, parfait. Le tout sur une purée très fine en goût de poireau-pomme de terre qui exhaltait celui de la morue… C’est une cuisine vraiment très inventive et, avec deux verres de vin et un café, l’addition est de vingt euros…

Pour le reste, j’ai passé ma journée à m’emplir les yeux et les oreilles de la vieille ville, essentiellement la Mouraria d’ailleurs car avec toutes escadas (mot à mot « échelles » en fait d’assez long escaliers), escadinhas (donc petits escaliers, autour de dix mètres de long), beco (ruelles ou plutôt, neuf fois sur dix, impasses, en tous cas inaccessible aux voitures), travessa (mot à mot « poutre » qui sont des voies, avec ou sans escaliers, certaines comme de vrais toboggans — descente – montée — entre deux rues « rua » principales.

Pas « d’avenida » dans la Mouraria, avec tout cela, on croit avoir tout parcouru, et bien non, le labyrinthe ouvre toujours sur d’autres circuits, d’autres points de vue, d’autres « praça » (place) plus ou moins bien entretenues, plus ou moins vivantes, habitées ou non par de petits cafés. J’ai ainsi bien aimé la petite « praça de achada » qui mérite bien son nom (« achada » signifie « trouvée ») tant elle est cachée au sein d’un labyrinthe d’escaliers avec son petit centre culturel-bibliothèque et, l’été, son cinéma en plein air.

C’est avec mes pieds que je fais ainsi mon deuil de Lisbonne, cette ville m’aura empli de joie, de nostalgie et m’aura aussi fait les cuisses et les mollets.

Pour le reste, malgrè l’amour que j’éprouve pour elle, il faut s’en méfier. J’avais laissé dans mon appartement, sur une étagère sous une des très petites fenêtres munies de barreaux qui donnent en hauteur sur la rue, le téléphone dont je ne me sers pas et une paire de lunettes de piscine. Pour voir à l’intérieur, il faut monter sur une marche haute car c’était, apparemment, un ancien atelier ou magasin. Volés. Disparus. Envolés.

Quand je vois le comportement de certains touristes qui vous photographient sous le nez, ce qui m’est arrivé chaque fois que je faisais cirer mes chaussures, qui n’hésitent pas, lorsque la fenêtre est ouverte à s’arrêter et prendre une photo de l’intérieur, ce vol ne devrait pas me surprendre. Il m’attriste quand même car il écorne ma vision idéalisée de cette ville. Il est vrai que je ne suis jamais assez méfiant. C’est ainsi, j’assume. Un souvenir de plus.

Le temps est encore breton : adieu Lisbonne.

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23 mai 2014

O pavilhao Chinês

Mon avant-dernière page. Peut-être même ma dernière car je ne veux pas tomber dans l’apitoiement. Je rôde au hasard des rues de Lisbonne me remplissant la tête d’images et de sensations. Le temps est médiocre, quand même plutôt ensoleillé même s’il y a des averses et pas de vent. Je rôde tellement que ce matin je me suis laissé entraîner par une fanfare militaire qui allait ouvrir les événements fooballistique de la Praça do Comercio : jeux de ballons en tous genres, écran géant commentant sans cesse les actions de tel ou tel joueur, tel match, faisant des pronostics, etc. Du coup je me retrouve photographié sur ma page Facebook. J’ai quand même retouché un peu pour enlever le trop de publicité. Pendant ce temps, les rues sont sillonnées de voitures ornées de drapeaux appelant à voter pour tel ou tel candidat européen.

Avant de quitter Lisbonne, je dois quand même faire part de deux découvertes intéressantes pour qui vient y passer quelques jours. D’abord j’ai eu la grande surprise de tomber sur le restaurant d’un jeune chef qui fait, à prix très abordable car manifestement il débute, une cuisine inventive et raffinée. Son restaurant, Leopold, se trouve dans la Mouraria, un quartier très populaire, au 27 rue de Sao Cristoval. C’est par le plus grand des hasards que je passais là et que la sobriété du mobilier, la vitrine où se perdent quelques livres de cuisine m’a attirée. La carte est sommaire et on ne peut pas y manger tous les jours mais, à mon avis, c’est à la hauteur des chefs du marché Ribeira. J’y ai mangé un Favas de Alheiras, une « alheiras » aux fèves. Normalement c’est une saucisse de porc légèrement aillée mélangée de pain. C’est très quelconque sauf qu’ici, le chef n’utilise pas du tout de boyau, il sert la farce nue avec quelques cachuètes, des germes de moutarde, des fèves al dente comme je les aime, de petites rondelles de betterave rouge et la viande n’est pas de porc. Si j’ai bien compris c’est du canard mais ma compréhension est parfois étrange et je ne voulais pas insister. Rien à voir donc avec la recette originale. Comme désert j’ai pris un « Roméo et Juliette » : pâte de coing noyée sous de fins copeaux de fromage de brebis me semble-t-il. Bon aussi, en tous cas original au Portugal, mais moins intéressant que l’alheira. J’ai laissé le chef me proposer le vin. Je ne le regrette pas.

Un autre lieu que je recommande moi qui ne suis pas noctambule, c’est pourtant un bar de nuit, le pavilhao Chinês qui se trouve au-dessus du Baixo à la sortie du quartier qu’ils appellent le Barrio Alto (le quartier haut) 89/91 rua Don Pedro V, une rue plutôt chic et branchée avec de superbes antiquaires qui présentent des pièces éblouissantes comme d’ailleurs ceux de la Rua de Alecrim (rue du romarin) assez proche, spécialisés dans les céramiques. Ce bar est, à lui seul, le MIAM de Sète : les murs de ses cinq salles sont couvertes de vitrines contenant les collections les plus hétéroclites, de la poupée aux casquettes militaires en passant par des tableaux réalistes socialistes. Très étonnant et indescriptible en quelques lignes. Le bar est très confortable, la musique bien dosée, j’y ai passé, devant un whisky, quelques moments très agréables. Il ouvre à dix huit heures mais, il vaut mieux y aller vers vingt et une heures.

De l’appartement, entre les carillons qui sonnent les heures, j’entend les clameurs lointaines de la Praça do Cormercio. Samedi ça va être la folie.

22 mai 2014

petits deuils

Ce matin, Lisbonne a conservé son manteau breton, il a plu toute la nuit et il pleut à verse quand je vais à la piscine vers neuf heures trente, sous le vent très frais il faut manier le parapluie comme une voile, pull-over et blouson, les pavés sont glissants et le Tage fait un vaste nuage gris au-dessus des maisons. Même s’il est toujours moins facile d’aller nager quand il pleut, j’ai depuis longtemps décidé de ne pas m’arrêter à ça car sinon je ne nagerais plus. Vers onze heures, quand je sors de la piscine, des traînées bleues percent la surface des nuages faisant du ciel un immense azulejo. Je jette ma carte de piscine : c’est la période des petits deuils, des dernières fois qui me rendent assez nostalgiques mais la météo convient bien à cette saudade : je fais chaque jour mes adieux à des lieux, des événements, des personnes qui n’en sauront jamais rien car j’ai arrêté ma décision : je ne reviendrai plus à Lisbonne. Revenir en touriste ne pourrait me satisfaire car je connais maintenant trop cette ville et la quantité de petits rituels que je me suis installés peu à peu font que, si j’en faisais un domicile permanent, j’aurais les mêmes problèmes qu’à Paris ou Fontainebleau : il faudrait que j’en parte régulièrement. Comme mes attaches sentimentales sont plutôt en région parisienne, autant le faire de là. Je ne sais pas encore où j’irai l’an prochain, j’hésite entre Séville, Athènes ou Budapest. Je verrai suivant ce qui se présentera. En tous cas cette expérience m’a permis de voir plus clair en moi. Un mois et demi, c’est parfait pour lentement apprivoisier le dépaysement et se forcer à sortir de soi-même ; davantage installe à nouveau des routine et c’est vraiment pour moi commencer à s’installer car je ne me sens plus étranger — ou si peu — en ce lieu.

J’achète mon journal, je vais le lire à mon troquet dont le patron s’enhardit maintenant à me dire quelques mots et même à me taper sur l’épaule quand je plaisante sur le fait qu’il n’a plus d’eau à son robinet alors qu’il pleut. La lutte du bleu et des nuages se poursuit. Comme chaque jour, de plus en plus d’éclaircies mais il fait toujours frais et la victoire est loin d’être acquise et je rentre manger « chez moi » ou Sao a fait le ménage.

Ensuite je vais vaguement rôder vers l'immense Praça do Comercio qui est entièrement envahie de stands pour la Champions League. Comme je ne sais pas ce que c’est, je me renseigne. Le football ici est une religion. Samedi, heureusement le jour de mon départ, au stade Benfica de Lisbonne aura lieu la finale de cette coupe qui se dispute entre les plus grands clubs d’Europe et qui opposera le Real à l’Atletico tous deux de Madrid, d’où, transmission en direct sur écrans géants pour ceux qui ne peuvent se payer de billets, mini-stade pour je ne sais quoi, stands de marques automobiles, friteries, sandwiches, etc. Panem et circenses, car c’est ainsi qu’on satisfait les peuples.

Normalement, d’après la météo, le beau temps devrait revenir ce jour-là comme si Lisbonne me signifiait qu’il était temps que je m’en aille.

21 mai 2014

cuisine branchée

Aujourd’hui, Lisbonne a retrouvé son allure Atlantique ; il a plu cette nuit ; la journée se partage entre averses, vent et éclairicies. On se croirait à Lorient. Du coup, les rues semblent vides, les touristes qui, comme les papillons, ne sortent qu’au soleil, se sont réfugiés je ne sais où et la ville paraît désertée, ce qui ne m’a pas empêché bien entendu d’aller lire le journal à mon troquet quotidien.

Ensuite, j’avais prévu d’aller dans le nouveau lieu branché de Lisbonne qui n’a ouvert que ce week-end, la nouvelle halle du marché Ribeira près de la gare de Cais do Sodré, à 400 mètres au-dessous du Chiado. C’est une halle entièrement rénovée à côté de celle du marché classique, mais l’une étant entièrement ouverte sur l’autre ce qui déjà est amusant car il y a d’un côté le marché classique un peu vieillot, sans beaucoup de monde et, à côté, cette halle design très fréquentée. Si je voulais y aller, c’est parce que, dans cette halle, viennent de s’ouvrir vingt boutiques alimentaires de luxe. Ça va des très nombreuses et variées conserves de sardines à la pâtisserie ou au vin portugais. Mais ce qui, surtout, a suscité ma curiosité c’est que les cinq — paraît-il — plus grand chefs de Lisbonne y ont ouvert des bistrots où ils présentent quelques uns de leurs plats : Alexandre Silva (restaurant Bocca), Miguel Castro e Silva (restaurant De Castro), Henrique Sa Pessoa restaurant Alma), Marlene Vieira (Mesa do Chef) et Victor Claro (restaurant Claro). Je voulais tester. C’est fait, j’ai pris un « Menu Ribeira » de Marlene Vieira, trois ramequins contenant de petites salades : tomate cerise-feta, crustacés et fines herbes, et salade de poulpe plus deux plats chauds : gambas cuits dans un brick très fin, boulettes de purée parfumées au coriandre et brick de thon. Avec un verre de vin, un peu plus de 25 €, donc très cher pour Lisbonne mais je dois avouer que, si ce n’était pas extraordinaire, c’était bon, cuit à point et un peu original avec une recherche de finesse. Ensuite un « œuf à 64 ° » de Henrique Sa Pessoa (environ 8 €) : très bon, très fin, un œuf poché avec de petites roulades fines de jambons de pays et des asperges vertes posés sur une purée au truffe. Vous comprendrez que je me sois arrêté là. Pas tout à fait quand même car j’ai voulu goûter un pao de lo, rien à voir avec ce que j’ai mangé en ville, très onctueux, entre la gélatine et la mousse. Superbe. Tout ça m’a un peu réconcilé avec la cuisine portugaise et je pense qu’il faut aller au moins une fois à ce marché mais, pour l’instant du moins, c’est bondé. Il faut donc arriver assez tôt si on ne veut pas faire de longues queues. D’ailleurs il y avait la télévision dont l’animatrice, comme le montre la photo que je poste sur ce site (télé), n’avait pas l'air d'apprécier ma présence. Rien pourtant ne l’empêchait de mettre sa caméra ailleurs.

Enfin, il en faut plus en ce moment pour gâcher mon plaisir.

Au retour, vers quatre heures, j’ai encore emprunté un nouveau circuit. À Lisbonne il suffit de changer d’une rue pour avoir des surprises. J’ai donc découvert l’étonnant tramway qui sort d’un immeuble pour monter la très abrupte Rua da Bico de Duarte Belo sur les escaliers de laquelle un groupe d’adolescents fumait du hash et voir les étonnantes travessa en forme de toboggan, notamment la Travessa da Portuguesa par laquelle on rejoint le Chiado en passant par un autre mirador. Le soleil avait alors l’air de vouloir sérieusement gagner la partie. Mais le combat continue. On verra demain…

20 mai 2014

l'Institut Français

Ce matin, dès le lever, lutte des nuages et du soleil. Pour une fois, les nuages et l’Atlantique gagnent. À midi, par rapport à hier nous avons perdu douze degrés. Un petit pull s’impose. À treize heures, il pleut un quart d’heure puis de temps en temps quelques gouttes. Vers seize heures, le soleil triomphe à nouveau. L’épisode fraîcheur semble terminé. Dommage…

Rien à faire aujourd’hui. Mais ne rien faire n’est-ce pas aussi une activité ? Je pars vers onze heures vers l’Institut Français en choisissant un itinéraire tout en zigzags pour ne passer que dans des rues que je ne connais pas. Deux heures de marche. Rien de remarquable si ce n’est qu’on arrive dans un quartier plutôt bourgeois avec Mazerrati et Mercedes et que j’ai vu, rua Augusto de Aguiar, un immeuble années trente avec une belle mosaïque de dragon. Pour autant, ça ne vaut pas le détour. En fait je m’amuse de rien, du français tellement perdu dans un supermarché qu’il en rougit et que je dépanne en expliquant aux caissières ce qu’il veut, des boutiques désuètes d’antiquaire qui s’appellent ici des « velharias », des vieilleries, des magasins chinois qui proposent des vêtements à des prix incroyables, du tee-shirt d’une vendeuse qui représente un torse jeune assez dénudé que, à moins d’être tout près, on pense être son propre corps, d’un immeuble en ruine qui ouvre sur un trou assez impressionnant, du prix des fraises à 0,99 € le kilo mais que je ne peux malheureusement acheter car je ne sais pourquoi, depuis quelques temps, je suis devenu allergique à tout un tas d’aliments — bananes, fraises, lentilles — qui me provoquent des crises d’urticaire géantes. Rien de notable et je devrais ne rien noter mais ce journal est presque devenu une drogue dont il me faut une prise chaque jour pour dire quelque chose quand je n’ai rien à dire. Drôle d’expression d’ailleurs car y a-t-il des moments où on a vraiment quelque chose à dire ? La pluspart des conversations me semblent sur ce point assez vides.

À l’Instititut Français, j’ai rendez-vous pour déjeuner avec la Directrice Victoire Di Rosa, la femme du peintre Hervé Di Rosa, que j’avais connue il y a quatorze ans à Mexico. Quatorze ans… Avons-nous « des choses à nous dire » ?

Nous bavardons aimablement de choses et d’autres : disparition de la langue française à l’étranger, problèmes de la scolarisation des enfants, culture, peinture, Musée des Arts Modestes de Sète que dirige son mari, Lisbonne, météo… tout ça dans le désordre. Sans intérêt sinon que c’est par ce sans intérêt que nous passons un moment de convivialité agréable. Je remarque encore une fois combien la plupart des gens aiment parler de ce qui les concerne et s’intéressent peu à ce que font et sont leurs interlocuteurs. J’ai l’habitude. Disons que neuf fois sur dix c’est ainsi que ça se passe : parler de soi pour être. Sur ce point comme d’autres l’âge m’a rendu indulgent et j’ai appris à écouter sans essayer de me mettre en avant car ce qui compte dans la plupart des conversations, c’est être là, un moment, avec quelqu’un. On pourrait ne rien dire mais le silence gêne. Alors on l’étouffe sous le dire rien et… ce n’est pas désagréable.

Ceci dit, je ne recommande pas le « restaurant » de l’Institut Français pour un repas gastronomique mais il y a une belle librairie. L’un compense l’autre. Mais je l'avais déjà signalée.

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19 mai 2014

pigeons et bassin

Piscine comme tous les mercredis et dimanche. Depuis que le temps chaud s’est installé, je n’y suis plus seul, quelques barboteuses et quelques nageurs. Puis journal, lecture à mon café habituel de la place Figuieras. Puis, dans mon appartement, une excellente tomate mozarella car depuis que j’ai enfin trouvé un plant de manjericao (basilic), avec la chaleur qu’il fait maintenant dès dix heures, les salades sont un vrai plaisir. Trop tard pour Antenne 2 en streaming, alors je mange en regardant un film ordinaire qui n’est pas trop nul mais dont, quelques heures après, j’ai déjà oublié le titre et le nom des acteurs.

Plus que cinq jours. Je ne me perds plus dans Lisbonne. Où que j’aille je trouve toujours un endroit où je suis passé et il y a bien longtemps que je ne me sers plus de carte. Je suis complètement divisé : mes sens me disent que je devrais revenir à Lisbonne où je me sens bien ; ma raison me dit que je suis en train de tomber dans les mêmes routines qu’à Paris ou Fontainebleau. C’est vrai. Je ne sais trop que faire ; j’ai encore quelques jours pour prendre une vraie décision… Mais le temps me fuit à toute allure.

L’après-midi, comme je n’ai rien de spécial à faire, je cultive mon farniente. Je descends vers le Tage, puis vers la gare Cais do Sodré (celle qui mène à Caiscais) sans intention précise et tombe sur une petite place tranquille, la Praça Sao Paolo, pas loin du marché de Ribeira, mais en retrait. Comme d’abitude un bassin, au milieu une statue — je n’ai pas cherché à savoir qui ou quoi c’était — et deux buvettes. Je choisis celle à l’ombre, m’installe, commande un café. Chants d’oiseaux, des moineaux sans doute, pigeons, jeux et voix d’enfants, passages de belles jeunes portugaises en shorts ultracourts, de loin en loin les puissantes vrilles des sirènes d’ambulance qui passent près du Tage d’où vient un vent léger qui met le corps l’aise. Béatitude. Du moins c’est ainsi que je ressens la notion du paradis quand les pensées s’abîment dans une unification multipliée de tous les sens. N’être que nostalgie et jouissance douce. Verlaine. Bonheur. Miracle de cette ville : le bonheur. Les gens sont heureux, rient, sourient, comme cette élégante dame anglaise, jupe noire, corsage écarlate, une grosse perle à chaque oreille avec qui nous échangeons un bref sourire de protestation complice quand le patron du bar vient chasser un mendiant qui avait l’audace de s’approcher de sa terrasse. Rien d’autre à faire que d’être là sous l’équanimité d’un ciel d’un bleu trop parfait. Il y a, bien sûr, de loin en loin un avion qui passe très bas sur la ville et dont le bruit fatigue l’oreille mais je crois qu’aujourd’hui rien ne saurait me faire perdre mon équilibre. Je reste là un long moment puis, quand la chaleur commence à devenir raisonnable, que les longues côtes ne font plus transpirer, je rentre par des rues que je ne connais pas encore mais où il n’y a rien d’autre à voir que l’attente d’une possible surprise.

Fenêtre ouverte, j’entends, à la musique qui me parvient, que sur la place Figueiras il y a encore un événement quelconque, une chanteuse, des airs qu’on dirait folkloriques. Je n’irai pas voir. Je déguste ma journée.

18 mai 2014

Les cracheurs de feu

Farniente parfait. Je devrais marquer cette journée d’une page blanche mais la vie veut que quand il ne se passe rien, il se passe toujours quelque chose.

Le matin, je suis allé lire mon journal à mon café habituel où je suis accueilli avec de grands sourires puis, petites courses : melon-jambon, poulet-pâtes, saucisses-poëlée de poivrons et tomates, mozarella-tomates… de quoi manger deux jours pour à peine vingt euros…

Ensuite, l’après-midi, je me suis installé à l’ombre — il fait aujourd’hui plus de trente degrés — à une des très nombreuses terrasses de la rue Augusta, rue centrale de la Baixa où défilent tous les touristes venant à Lisbonne et allant du Rossio à la Place du Commerce qui donne sur le Tage. Je ne lis pas, je me laisse porter par l’espèce de fond de langues — comme on parle de fond de sauce — on entend des bribes d’italien, français, allemand, anglais, espagnol, japonais, etc. tout cela se mêlant pour former comme un fond sonore indifférencié et pourtant profondément humain. Je ne regarde rien, me laisse flotter, un peu absent au monde, je laisse venir à moi les multiples spectacles qui s’intallent ou passent, suivant les heures, créant — ou non — des attroupements comme autour de la « valeur sûre » qu’est cet homme entièrement recouvert d’un maquillage or capable de tenir en sustentation, les pieds ne touchant pas le sol, appuyé sur une simple canne. On a beau se dire qu’il y a un truc, un corset certainement, sa posture n’en est pas moins intriguante et lui vaut un nombre non-négligeable de pièces. Ce genre de « performance » que l’on voit aussi à Paris, semble être ici une spécialité, comme s’il y avait une école. Dans la même rue il y a, l’homme de bronze tenant un bouquet d’œillets rouges et qui ne bouge, imperceptiblement, que lorsqu’on le photographie et lui donne une pièce ; le faux Mozart de marbre qui diffuse sa petite musique de nuit, ou autre ; le stylite, un jeune individu, tout maquillé de blanc, qui semble de plâtre et tient, des heures durant, accroupi sur une assez haute colonne ; le couple de « statues » de bronze, hommage au fado, qui diffuse évidemment des chansons populaires et que les touristes photographient volontiers en se plaçant entre eux. Mais il n’y a pas que ça : le couple de jeunes hommes aux masques blancs sur lesquels coule une larme : violoncelliste (très moyen) et violoniste (assez bien) qui, pour l’essentiel joue, pendant de longues heures le boléro de Ravel ; la femme artiste peignant, filmée par deux caméros, le torse nu d'un jeune homme très musclé; ou encore cette vieille dame aveugle, assise sur un tabouret, chantant tristement des fados tristes ; comme cet homme d’âge mûr, soixante ans peut-être, et ses quatre petits chiens qui attirent la plupart des vieilles touristes femmes ne résistant pas au plaisir de caresser les petites bêtes — qui ont l’habitude—, chantant lui aussi un fado, toujours le même où revient obstinément « mãe mãe », « maman maman ». D’autres mendiants encore, chacun avec sa spécialité — mais dans l’ensemble j’en ai moins vu qu’à Paris ; des jongleurs avec des instruments divers, des rapeurs, des artisans en bulles gigantesques apprenant aux enfants comment les faire eux-mêmes ; des scouts, filles et garçons en grand uniforme ; des étudiants chantant pour récolter de l’argent pour leur fête traditionnelle de fin d’année au cours de laquelle ils brûlent — en se saoûlant — les rubans multicolores qui ornet leurs vêtements…Mais pas de cracheurs de feu. Il fait sûrement trop chaud, pas de cracheurs de feu.

17 mai 2014

Coïmbra, deuxième jour

Journée à Coïmbra. Le matin, nuageux et frais. J’ai eu un peu d’espoir puis, vers onze heures, plus de nuages et la canicule habituelle. Il fait vraiment très chaud.

Coïmbra est une ville moyenne bâtie sur des collines. Comme à Lisbonne on monte et on descend sans cesse. Comme à Lisbonne, le centre est fait de petires rues tortueuses où l’ombre est la bienvenue mais ma première impression est que la ville est en moins bon état encore que Lisbonne. Cependant je dois tempérer cette remarque par le fait que je ne suis pas allé dans les quartiers modernes extérieurs.

Coïmbra est la première cité universitaire du Portugal créée autour du XII ème siècle. Mais, pour en savoir davantage, voyez Wikipédia. L’essentiel de la vieille ville est construite sur une colline assez abrupte au bord du fleuve Mondego et l’université la couronne, ce qui est loin d’être symbolique puisque c’est une des activités les plus importantes de la ville. Se promener dans ses petites rues est plein de charme, mais on en a quand même vite fait le tour. Heureusement il y a son passé. L’université d’abord dont j’ai déjà parlé hier et qui vaut largement une visite. Ensuite ses bâtiments religieux. L’université à son origine dépendant des ordres religieux, la ville est un catalogue d’édifices catholiques. Rien qu’autour de mon hôtel, sur cinq cent mètres, j’ai compté six édifices religieux et je ne suis pas sûr d’en avoir oublié. Il y en a tant que certains d’entre eux ont été reconvertis, en supermarchés, en magasins, en palais… Tous ne sont pas ouverts et tous, d’ailleurs ne présentent pas le même intérêt. Deux m’ont intéressé : la Sé Velha, la vieille Sé, la vielle cathédrale, Sé étant « sedes episcopalis », donc cathèdre, etc. dont les portails sont intéressants et dont, surtout le cloître est superbe et la Santa Cruz pour son orgue et ses azulejos. Il y a toujours du monde qui prie dans les églises mais il est vrai qu’il y fait frais, que c’est d’un calme reposant et qu’ici, les gens entrent et sortent et même, parfois, y téléphonent.

Ceci dit, ce qui m’a surtout intéressé à Coïmbra, c’est le Museu Nacional de Machado de Castro, situé dans le campus universitaire. C’est un bâtiment très moderne construit sur le forum romain qui se visite et qui est très bien mis en valeur. Ce musée contient des merveilles d’art du moyen âge — donc essentiellement religieux — sculptures sur pierre, sur bois, peintures, joailleries, meubles, etc. On y apprend énormément de choses notamment sur les apports flamands et français. J’y ai passé près de deux heures et je ne me suis pas ennuyé une minute, j’y ai même découvert un peintre portugais du XVII ème siècle qui présentait un certain intérêt.. Tout y est parfaitement mis en valeur, les expliactions sont nombreuses, le personnel est d’une très grande gentillesse et d’une très grande efficacité qui ne demande qu’à aider et renseigner le visiteur. C’est infiniment plus riche que le musée de Cluny à Paris.

De plus, en sortant, je suis allé manger sur la terrasse du restaurant de ce musée. Une cuisine très correcte à des prix défiant toute conccurence et, en prime, on peut manger à l’ombre en dominant toute la partie de la ville qui donne sur le fleuve et en contemplant les monastères qui font face. Un vrai délice.

J’y suis resté longtemps.

15 mai 2014

Premier contact avec Coïmbra

J’ai sauté un jour, personne ne s’en plaindra, mes promenades dans divers quartiers de Lisbonne et mes lectures dans les parcs — en ce moment « Inceste » d’Anaïs Nin — lassent mes rares lecteurs. Pourtant, je crois que c’est ainsi qu’il faut apprécier cette ville merveilleuse et je ne reprendrai pas mes diatribes contre les malheureux touristes qui… Passons…

Ce matin, marchant à l’aube dans la merveilleuse tendre luminosité du soleil encore timide dans les petites rues de l’Alfama, je vais à la gare Santa Apolonia prendre le train pour Coïmbra où je dois donner une conférence. Les trains portugais sont très biens, préférables à la circulation en voiture et pas cher. Le seul problème, à Lisbonne, c’est qu’il y a au moins six gares, qu’il ne faut pas se tromper, que les sites Internet ne sont pas toujours à jour et que le bureau de tourisme de la Praça do Comercio n’est pas très performant. Avec un peu de persévérance, on s’en sort quand même.

Deux heures environ puis Coïmbra B où m’attend le professeur Manuel Portela. Nous allons tout de suite à l’université, mélange de style pompier Salazarien (assez nul) et d’université des XIII ème et XVI ème siècles, superbes. Il me fait visiter plusieurs salles : la splendide vieille bibliothèque, la salle des actes (on dirait en France « des soutenances »), celle des professeurs. Ceux qui connaissent la Sorbonne peuvent comprendre, rien à envier. Nous allons manger au Musée de l’art antique, correct, pas cher, portugais. Puis, conférence. Par modestie je n’en parlerai pas. Ensuite, vers six heures, nous allons boire un verre sur les bords du Mondingo car il fait une chaleur effroyable. Manuel me dit que c’est très étonnant car c’est une chaleur d’août. Je veux bien le croire.

Il me ramène à mon hôtel, un hôtel « international » au luxe très raisonnable sauf que la climatisation n’est pas à la hauteur. Je lui demande quel est, à son avis, le meilleur restaurant de Coïmbra. Seul, et n’ayant rien à faire, autant amuser mes papilles. Il m’indique le Nacional. Un professeur au Portugal gagnant autant qu’un Professeur français et le niveau de vie étant la moitié de celui de la France, j’ai pensé qu’il devait parfois pouvoir s’offrir de bons repas.

Je vais donc au Nacional vers huit heures : restaurant assez luxueux au premier étage d’une rue quelconque, clientèle de cadres venant pour des repas d’affaire, donc généralement ne lésinant pas sur le coût, ça devrait aller… Horrible déception. Je ne parlerai pas du melon-jambon car, ici, le melon est un melon d’eau, très rafraîchissant mais sans goût. J’avais demandé une des spécialités, le tamboril con arroz, un riz de baudroie. Comme l’on sait, la baudroie est un poisson très fin, cher en France, mais délicieux. Ils me la servent panée, trop cuite, avec un riz théoriquement parfumé mais aussi trop cuit. Moi qui adore le « al dente » italien… Mon opinion, hélas, est confirmée, les portugais, définitivement, n’ont pas les papilles raffinées. J’ai beau multiplier les essais, j’en arrive toujours au même point, ils massacrent des produits nobles pour en faire n’importe quoi. Pas de chance ou alors ?… Mon souvenir du Don Pedro à Cascais en est renforcé. Avant de partir, j’y retournerai.

Demain, visite, à ma façon, de Coïmbra. Ne pas tout voir mais regarder.

14 mai 2014

Obidos

J’ai lu sur Internet que le Portugal considérait abriter sept merveilles (sept naturellement, ça ne pourrait être ni six, ni huit) : le Château de Guimaraes, le Château d’Obidos, le Monastère d’Alcobaça, celui de Batalha, celui des Hiéronymites à Belem, le Palais National de Pena et la tour de Belem. Je ne peux pas voir la première qui est au Nord, j’ai visité Belem et le Palais National de Sintra. Restaient donc deux monastères et Obidos. Pour les deux monastères, pas de transport en commun, il me faut donc louer une voiture. On verra la semaine prochaine. Restait Obidos desservi par un bus qui part de la station de métro Campo Grande, située dans une banlieue assez moche mais avec des mosaïques originales.

Une heure de bus pendant lesquelles on comprend comment le Portugal peut tant brûler l’été : beaucoup de forêts et de zones en friche. Puis Obidos. Disons-le tout de suite, le site est intéressant : une ville qui a dû être importante au XII ème siècle quand elle était arabe et entièrement fortifiée au XVI ème siècle de murs impressionnants qui enferment toutes ses maisons blanches. Une image rêvée pour carte postale tant il semble que rien n’a bougé depuis. La ville est manifestement soigneusement entretenue pour rester dans cette image d’origine, tout y est pimpant, propre, le nombre d’endroits qui provoquent le photographe est prodigieux que ce soit du haut des remparts sur la forme irrégulière et close de la ville, que ce soit dans les perspectives de ses rues toutes en courbes et montées et descentes ou que ce soit, des remparts encore sur la campagne environnante. Tout y est beau, tout semble vrai, trop vrai car il n’y a aucune trace d’usure et le fait que certains habitants s’y promènent en costume du XV ème siècle renforce encore cette impression. Les touristes y sont évidemment très nombreux, la rue centrale est une succession continue de boutiques de souvenirs et les marchands de ginginha, cette liqueur amère de cerise que l’on mange-boit dans une petite coupe en chocolat, ne sont pas en reste. Du Walt Disney encore. Je n’en dirai pas plus. En fait, on pourrait très bien se passer de visiter Obidos car les multiples photos publiées sur Internet suffisent largment ; à moins que l’on aime l’atmosphère Baux-de-Provence ou Cordes-sur-Ciel. En moins d’une heure on a tout vu : fait le tour, parfois vertigineux des remparts sans protection, visité l’église Santa Maria (XII ème siècle) et son mélange baroque portugais et azulejos, tourné dans les rues vides, passé trois fois entre les étals de la rue centrale. Je suis donc allé à l’inévitable pausada installée dans le beau corps seigneurial du château, profiter du vent frais d’altitude sur la terrasse ensoleillée face au paysage. Je ne pouvais quand même pas rester là tout l’après-midi. J’ai donc décidé de rentrer, j’ai vérifié encore les horaires de bus que j’avais déjà noté avant de partir. À l’heure dite, pas de bus. J’ai patienté une demi heure sur une autre terrasse en attendant, puis je suis parti me renseigner. L’office du tourisme m’a confirmé mes horaires. Je suis donc retourné à l’arrêt de bus pour voir le bus de Lisbonne partir. Loupé. Nouvelle terrasse. Cette fois-ci j’ai décidé d’attendre. Au bout d’une demi-heure environ, une heure avant l’heure annoncée, le bus de Lisbonne. Je m’étonne auprès du conducteur : les horaires ont changé aujourd’hui. Personne ne le sait, rien n’est affiché. Pas grave, le temps ne compte pas vraiment.

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